Elu sommelier suisse 2015 par le guide Gault&Millau, l’Ivoirien Jérôme Aké Béda officie depuis bientôt neuf ans à l’Auberge de l’Onde, à Saint-Saphorin, dans le canton de Vaud.
Attiré par la restauration et l’hôtellerie, Jérôme Aké Béda aurait pu se retrouver aux Etats-Unis pour parfaire sa formation hôtelière, la vie l’aurait alors peut-être conduit à composer avec les vins locaux. La qualité des écoles hôtelières suisses l’a convaincu, autant que la stabilité politique du pays, à l’opposé de la Côte d’Ivoire. Il se souvient du contexte des années 1990: «Notre ancien et vénéré président Houphouët Boigny était mourant, la situation n’augurait rien de bien». Il posa donc ses valises en Suisse, en 1989, puis fut initié à la richesse viticole de Lavaux, par Patrick Röthlisberger, de l’Auberge de la Crochettaz, à Epesses. A l’époque, en Côte d’Ivoire, on trouvait de nombreux restaurants, dont un chalet suisse, mais il fallait être fortuné pour s’acheter de bonnes bouteilles de vins. «Avec son climat, le pays n’est pas propice à la culture de la vigne. La vigne étant une liane pourrait y pousser mais j’ai peur qu’on soit plus proche d’une piquette qu’autre chose…». Vingt ans plus tard, le guide Gault & Millau le consacre sommelier 2015, en récompense de son travail acharné au quotidien. «J’ai toujours le souci de satisfaire le client afin qu’il revienne; c’est le seul moyen d’assurer la régularité du cash-flow, source de pérennité d’une entreprise», explique-t-il lucide. Le titre ne modifie en rien son caractère humble et jovial. Jérôme Aké Béda s’en amuse même, «j’arrive encore à passer la porte de l’Auberge de l’Onde et je n’ai pas changé de pointure pour mes chaussures».
Chantre du chasselas
Généreux, il sait faire preuve de beaucoup de tact et de psychologie pour bien écouter ses clients. «Un bon sommelier doit avoir une bonne mémoire, être passionné et surtout curieux de tout», énonce-t-il. Le sommelier vaudois est également affable. Son plaisir de partager sa passion l’a même fait co-signer Les 99 Chasselas à boire avant de mourir (éd. Favre). Si c’était possible, il aurait d’ailleurs volontiers partagé un verre avec le Mahatma Gandhi ou Martin Luther King. «Je leur ferais boire un Dézaley Clos des Moines 2005 pour leur faire comprendre que les Moines ont été sages de choisir Lavaux pour la culture du chasselas».
La vigne et le verbe
Le théâtre est son violon d’Ingres, Jérôme Aké Béda aime le verbe, comme la vigne. «J’aime le théâtre pour les textes que l’on déclame et qui est un véritable tremplin pour affronter tout auditoire et qui nourrit en même temps l’esprit». Lui-même n’est pas avare de citations. Entre autre, et de mémoire, de Molière et de Luc l’Evangéliste. Et même si «nul n’est prophète en son pays», il pourrait tout à fait intervenir en Côte d’Ivoire pour susciter des vocations. «Aujourd’hui, avec la paix qui semble y revenir, on est étonné de voir l’émergence d’une catégorie d’Ivoiriens qui s’intéresse au vin». Il en est au moins un, ambassadeur du chasselas à Saint-Saphorin, Jérôme Aké Béda.
Benjamin Philippe