Grande voyageuse pas-sionnée par le Moyen-Orient et écrivaine, la Genevoise Yvonne Bercher a déjà publié plusieurs ouvrages, un récit de voyage sur la Syrie et l’Egypte ainsi qu’un essai sur la prison. Elle s’est cette fois intéressée à son quartier, avec son dernier ouvrage Vies et couleurs d’un quartier – Les Pâquis (éd. Cabédita).
Vous vivez aux Pâquis depuis un quart de siècle. Pourquoi en faire un livre aujourd’hui?
C’est un quartier où il se passe toujours quelque chose et j’ai pris l’habitude de prendre des notes qui, au fil du temps, m’ont donné l’idée de ce livre. L’image caricaturale qui colle à ce quartier ne correspond pas à la réalité et j’avais envie de le montrer sous son vrai jour. Loin d’être le Chicago des années 1930, les Pâquis offrent une richesse particulière que je voulais faire découvrir au lecteur.
Avez-vous des anecdotes liées à la rédaction du livre?
Cette partie de la ville, entre la gare et le lac, concentre toutes les tensions du monde. A la fois interraciale, interculturelle et intersociale, la cohabitation n’est pas toujours des plus simples, alors, bien sûr, les anecdotes plus ou moins savoureuses sont légion, mais je me souviens par exemple de cette femme entre deux âges qui s’était réfugiée dans mon immeuble. Un peu perdue, elle ne cessait de monter et descendre par l’ascenseur, s’arrêtant à chaque étage pour tambouriner aux portes; comme il devait être deux ou trois heures du matin, personne n’osait lui ouvrir. La police a fini par intervenir et je voudrais saluer ici le formidable travail effectué par nos forces de l’ordre. A force de persuasion, sans aucune menace ni contrainte, les agents ont fini par convaincre cette femme de quitter les lieux.
Quelles sont les personnes qui vous ont le plus marquée?
La préparation du livre m’a pris presque trois ans, autant dire que j’ai rencontré une foule de personnages tous aussi singuliers les uns que les autres. Mais si je devais n’en retenir que deux, ce seraient Francis Traunig et Bernard d’Allèves. Le premier, qui tient la boutique de confection Père et fils en plein cœur des Pâquis, rue de Berne, est un créatif à l’état pur. Après avoir couru le monde, il a repris le commerce de ses parents où il exprime toute sa fantaisie. En véritable artiste, il réalise des vitrines extraordinaires et continue de s’adonner à l’une de ses nombreuses passions, la photographie, en portraiturant clients ou passants jusqu’à publier un recueil annoté de savoureux commentaires. Quant à Bernard d’Allèves, un Valaisan pure souche que le hasard ou autre chose a conduit rue de Neuchâtel, au bar Le Pirate qu’il dirige depuis bientôt trente-cinq ans, il m’a d’emblée séduite par sa gouaille et son humour. Issu d’une famille catholique pratiquante, il se rêvait évêque de Sion ou même cardinal, mais il aurait été détourné de ce noble destin par la gent féminine à laquelle il n’a jamais su résister. Il n’en a pas moins conservé quelques principes forts et n’a pas manqué de me préciser à la fin de l’entretien: «Je pardonne à tous ceux qui m’ont offensé», tout en rajoutant «mais je garde la liste».
Votre regard sur les Pâquis a-t-il changé suite à la rédaction de votre livre?
Je n’imaginais pas que le quartier regorgeait à ce point d’artistes de tous horizons. Je pense par exemple à la plasticienne Denise Tschumi qui m’a reçue chez elle, dans un décor absolument extraordinaire, ou encore à Ian Gordon-Lennox, ce musicien de jazz qui joue du serpent, une sorte d’ancêtre du tuba ou du saxophone qui accompagnait les chants liturgiques dès le XVe siècle et aujourd’hui tombé en désuétude.
Comment imaginez-vous le quartier d’ici vingt ans?
Nous sommes depuis quelque temps confrontés à une forte spéculation immobilière, mais fort heureusement de plus en plus de personnes et notamment des élus prennent conscience du potentiel du quartier. Les nombreuses surélévations d’immeubles ont entraîné une densité de population parmi les plus fortes de la ville et généré plus de problèmes qu’elles n’en ont résolus. Malgré tout, je reste optimiste et je continue d’avoir confiance en l’avenir. De nombreuses associations, telles que Survivre aux Pâquis, la maison de quartier des Pâquis ou encore Fenêtre sur cour, sont maintenant réunies en collectif et défendent bec et ongles les intérêts des habitants. La présence d’éducateurs de rue et la lutte contre les abus sont autant de mesures efficaces qui font leurs preuves et, pour reprendre le point de vue de Ruth Dreyfuss, ancienne conseillère fédérale et pâquisarde d’origine, «il faudrait proposer un panachage de mesures à envisager en fonction de ce qui doit être combattu et de ce qui peut être toléré».
Propos recueillis par Frédéric Finot