Le vigneron Stéphane Gros règne sur son exploitation de Dardagny. Volubile, indépendant et passionné, il évoque pour nous sa vocation, son rapport au vin et à la terre.
Vous êtes issu d’une famille de vignerons et d’agriculteurs; qu’est-ce qui vous a incité à reprendre en 2001 les vignes avec votre père d’abord, puis seul en 2008, quel a été le déclic?
Je fais partie de la 7e génération d’une famille de vignerons. Je me destinais plutôt au départ à devenir vétérinaire, mais je n’avais aucunement envie de suivre des années de médecine, en allemand de surcroît! Puis j’ai voulu aller vers la diplomatie, mais je me suis rendu compte que je n’étais pas diplomate! J’ai obtenu un diplôme d’œnologie et de viticulture de l’école de Changins, ainsi qu’un diplôme de commerce (HEI). Je savais que j’allais revenir vers la vigne, sauf que j’avais besoin de faire d’autres expériences. J’ai eu le déclic au retour d’un voyage en Asie d’un an, seul, où je me suis découvert. Ma motivation principale a été ensuite de travailler à mon compte.
Vous êtes très attaché au terroir de Dardagny, à la tête de votre exploitation. Comment y avez-vous apporté votre personnalité et votre griffe?
Je suis à la tête d’une exploitation de 6,4 hectares et je dois dire que j’ai un attachement viscéral à Dardagny. J’ai d’abord travaillé avec mon père, mais j’ai du plaisir à travailler seul, depuis 2008, car je suis foncièrement indépendant. J’ai apporté ma griffe par ma volonté de gérer tous les paramètres, en affirmant mes choix.
Vous jonglez avec 14 cépages différents: on dit de vos vins qu’ils sont complexes, maîtrisés et francs, qu’en pensez-vous?
En effet, j’utilise les cépages chasselas, sauvignon, pinot gris, pinot blanc, chardonnay, viognier et riesling pour les blancs; gamay, pinot noir, merlot, cabernet sauvignon, cabernet franc, gamaret et garanoir pour les rouges. En vérité, je lie le vin essentiellement à la notion de plaisir, au partage. Pour moi, le bonheur est dans le pré! Avec différents cépages, on peut récolter, pour chaque cépage, au moment le plus opportun, c’est finalement plus simple à gérer.
Comment se traduit votre souci de perfection et de progression?
Pour moi le vin est une vraie vocation. J’aime aussi voyager, notamment en Bourgogne, ou dans la vallée du Rhône, en Côte-Rôtie… Je cherche constamment à m’améliorer, à aller voir ailleurs, j’ai une idée à la seconde! Je me forme, je me remets en question, j’aime collaborer avec les écoles, par exemple avec l’EHG (Ecole hôtelière de Genève), avec qui je travaille depuis 12 ans, ou avec l’Ecole des Arts décoratifs. J’aime l’idée de m’enrichir par les rencontres, c’est ce qui fait évoluer, on n’apprend rien en restant derrière un écran. Le vin doit rester accessible, proche des émotions, c’est pourquoi j’attache une grande importance à la transmission. Les jeunes et les néophytes peuvent avoir de vraies révélations quand ils sont bien initiés. C’est un luxe d’avoir un métier évolutif, où chaque année on remet les compteurs à zéro, pour chercher à produire au mieux. Ma vraie passion, c’est de communiquer, de partager le plaisir.
Quel bilan faites-vous des vendanges 2015?
Le millésime 2015 est magnifique, en qualité, mais peu abondant. Et ce, pour la troisième année de suite (en 2013, il y a eu de la coulure, en 2014, on a perdu 60% de la récolte, à cause de la grêle, et en 2015, la perte s’est chiffrée à 50%, avec de petits grains).
Quid de l’Ambroisie, votre vin mousseux vinifié en méthode traditionnelle?
C’est un vin qui n’existait pas. Il s’agit d’un vin mousseux, de dessert, à base de Gamaret, un demi-sec à la robe rouge-violet, aux arômes de fruits; et aux tannins très discrets. L’Ambroisie est tout sauf un vin simple, il accompagne idéalement le chocolat, mais aussi des grillades ou le cochon de lait. J’exploite les parcelles de Gamaret les plus anciennes de Genève, d’ailleurs, mon père a été le premier à lancer le Gamaret, en 1987.
Comment voyez-vous l’évolution des vins suisses?
Je suis très optimiste. Nous avons une qualité et une traçabilité tout à fait impressionnante, autant dans les blancs que dans les rouges, les mousseux et les liquoreux. Nous devons améliorer le faire-valoir des vins suisses, et cela ne peut se faire qu’en multipliant les manifestations et les dégustations. Nous avons certes un territoire trop petit, mais un potentiel énorme. Il faut savoir qu’en Suisse, on boit 3,5 fois ce qu’on produit, donc on est obligé d’importer.
Quels vins appréciez-vous le plus?
Je suis très ouvert, j’aime beaucoup le chasselas, le cépage de l’arc lémanique, qui reste une vraie valeur suisse, idéal pour l’apéro, mais difficile à vinifier, l’erreur ne pardonne pas!
J’apprécie aussi beaucoup le Gamay, qui est un cépage magique, exceptionnel. Selon moi, ce sont les deux cartes de visite d’une cave.
Nathalie Brignoli