Yolande Grand est propriétaire de l’Hôtel de la poste à Fleurier, dans le canton de Neuchâtel, depuis 1966. L’an dernier, elle a participé au documentaire Service compris du cinéaste suisse Eric Bergkraut.
Quand Théo Eggel, son père, emmena toute la famille du Haut-Valais dans le Val-de-travers, Yolande Grand avait 13 ans et la région n’avait pas subi la crise de l’horlogerie. Sur place, la jeune fille apprit le français et regarda son père développer l’Hôtel de la Poste qu’il avait tout juste acheté. Son père avait vécu pendant 25 ans aux Etats-Unis et vécut un temps à Brigue, avant de partir avec sa femme et ses huit enfants à l’autre bout de la Suisse. De sa vie américaine, son père a laissé à Yolande Grand des photos «extraordinaires». «Là-bas, il vivait dans une grande ferme, avec des chevaux et des vaches». Aujourd’hui, la patronne de l’Hôtel de la poste a un chat pour lui tenir compagnie, et des clients fidèles qui viennent pour son traditionnel jambonneau du mercredi.
Elle reprit l’établissement en 1966, avec son mari André Grand, un Fribourgeois rencontré deux ans plus tôt, décédé l’an dernier. Depuis 40 ans, Yolande Grand anime le village, et parcourt les rues en vélomoteur. «Je suis connue comme le loup-blanc», s’amuse-t-elle. Son authenticité a retenu l’attention d’Eric Bergkraut, le cinéaste suisse. Il lui a ainsi donné la parole dans son documentaire Service compris (2013), un film qui célèbre les bistrots d’antan aux confins du pays.
Sur grand écran
Pour une projection du film «tout en haut de la montagne», elle s’est rendue chez Marlise Schoch, sa consœur restauratrice appenzelloise également à l’affiche. Pleine d’humilité, elle a retenu de son passage à l’écran un détail. «Il paraît que tout le monde est surpris d’entendre sa propre voix», dit-elle. De son déplacement au cœur du pays, elle se souvient des macaronis d’alpage, «qui valait une entrecôte». Elle qui ne part pas trop en vacances, s’est éclipsée aussi à Zurich pour la première. Avec ses enfants, elle était allée à New York. Sa destination la plus régulière reste cependant le sud de la France. Yolande Grand aspire aujourd’hui à du repos, elle entend vendre son établissement, et tourner la page, malgré l’intérêt de son petit-fils de 11 ans. «Il fait très bien la cuisine et il aime servir les clients», dit-elle fièrement.
Situé non loin de la frontière franco-suisse, l’hôtel a souvent accueilli des recrues. Parfois, ils y faisaient même la cuisine. Les gradés mangeaient en salle. Paradoxalement, c’est le 14 juillet qui était fêté, chaque année, avec entrain. «C’était devenue une tradition, se souvient-elle, il y avait même un orchestre sur place». Les hôtes d’aujourd’hui viennent de Suisse alémanique. «Ils sont friands des gorges de l’areuse», constate-t-elle. La route de l’absinthe s’est toutefois affirmée comme une attraction locale. André Grand avait eu un coup de foudre pour la chapelle rue des moulins; leur fils Patrick Grand, l’a reprise pour en faire la distillerie Fata. Le Val-de-travers a sa fée verte, avec Yolande Grand, Fleurier a sa star de cinéma.
Benjamin Philippe