À nouveau légale depuis 2005, la fameuse boisson est un délice estival rafraîchissant à souhait, à marier également dans une recette à base de poisson. La Fée verte a vécu bien des péripéties depuis son invention par une certaine Marguerite Henriette Henriod qui aurait créé le premier élixir d’absinthe au 18e siècle. Tania Brasseur nous dit tout dans un magnifique ouvrage qui vient de paraître aux éditions Helvetiq.
La réputation sulfureuse de cette boisson trouble a été scellée le 28 août 1905 à Commugny lorsqu’un vigneron d’origine française établi en Terre-Sainte, rentre chez lui complètement aviné et abat sa femme enceinte et ses deux filles de plusieurs coups de fusil. Son penchant pour l’absinthe fait la Une des quotidiens de l’époque. La Croix-Bleue, alliée aux producteurs de vins blancs romands et aux distillateurs de schnaps alémaniques, part en croisade contre la fée verte. En ligne de mire : la thuyone, une molécule présente dans la plante d’absinthe qui rendrait fou.
Au printemps 1906, les députés vaudois adoptent une loi interdisant le breuvage. Elle entrera en vigueur dans ce canton le 1er janvier 1907. L’année suivante, une votation fédérale entérine la prohibition du « lait du Jura » dès 1910. La France suivra cinq ans plus tard.
Il aura fallu attendre près de 95 ans pour que la fabrication et la commercialisation de l’absinthe soient à nouveau autorisées en Suisse.
Pour les historiens et les distillateurs du Val-de-Travers, qui ont perpétué leur savoir-faire dans la clandestinité durant les longues années de prohibition, la thuyone n’était en fait qu’un vulgaire bouc émissaire érigé en démon par les vignerons et producteurs d’alcools forts d’Outre-Sarine, craignant la concurrence de cet élixir populaire prisé par les artistes.
La période de prohibition a contribué à perpétuer le mythe tandis que les Vallonniers continuaient à distiller dans la clandestinité.
Ce dont on est sûr aujourd’hui, c’est que l’absinthe est bien d’origine suisse. En 1798, Daniel-Henri Dubied, qui a acquis la recette, ouvre avec son gendre Henri-Louis Pernod une première distillerie à caractère industriel à Couvet. Ce seront les débuts d’une grande aventure mondiale pour le futur groupe Pernod Fils. La suite est connue. L’absinthe vivra ses heures de gloire au 19e tant dans les milieux intellectuels qu’auprès des classes populaires.
Au début du 20e siècle, grâce à Henri-Louis Pernod qui a traversé la frontière franco-suisse avec sa recette en 1805, il ne se distille pas moins de dix millions de litres d’absinthe à Pontarlier qui sont livrés dans le monde entier.
A propos de l’autrice
Docteure en lettres, membre du comité du Patrimoine culinaire suisse, Tania Brasseur travaille pour Slow Food Suisse parallèlement à son activité de traductrice et de rédactrice. Elle se passionne pour les produits artisanaux, les histoires et les personnes qui les entourent. Elle est l’autrice de Simplement Suisse, qui a remporté le Swiss Gourmet Book Award et le prix Ziryab en 2022 chez Helvetiq.
M. M.
Escapade
La Route de l’Absinthe
La Route franco-suisse de l’Absinthe vous emmène du berceau historique de la mythique boisson, le Val-de-Travers, jusqu’à sa capitale économique, la ville de Pontarlier, en France voisine. Au départ de la gare de Noiraigue ou de l’office du tourisme de Pontarlier, un sentier balisé de 50 km s’offre à vous avec de belles découvertes gustatives tout au long du parcours où quelque 80 producteurs, restaurateurs, chocolatiers, boulangers et bouchers vous font goûter à leurs délices en chemin. Le rythme de la balade vous permettra de découvrir des joyaux naturels, comme des sources fraiches pour troubler une bonne absinthe. Au menu également : visite de musées, de cultures de plantes médicinales. De nombreuses possibilités d’hébergement et de restauration émaillent le parcours.