Pourquoi appelle-t-on un chef… « chef »

Au XVIIe et XVIIIe siècle, à la cour de France, celui qui dirigeait les cuisines royales portait le titre de « maître-queux ». Rien à voir avec l’appendice poilu qui prolonge la colonne vertébrale des mammifères ou l’extrémité postérieure du corps des reptiles ou des poissons ! Cette formule dérive d’une déformation du mot latin « coquus » qui signifie tout simplement « cuisinier ». À la même époque, dans les navires de guerre de La Royale, la marine française, le régent des cambuses portait lui le titre de « maître-coq », une locution empruntée au néerlandais « kok », également issu du latin « coquus ».

Une « tête » !
Ces formules finiront par disparaître au profit de « chef de cuisine » puis de « chef ». Notons au passage que le  mot « chef » est quant à lui dérivé du latin « caput » qui signifie « tête ». Un « chef » est donc une personnes qui est LA tête, ou À LA tête d’un groupe ou d’une équipe, en l’occurrence d’une brigade de cuisine.

Le pâtissier Antonin Carême fut le premier à porter le prestigieux titre de chef au début du XIXe siècle.

Surnommé « le chef des rois » et « le roi des chefs » de son vivant, Antonin Carême fut manifestement le premier à porter le titre prestigieux de «chef». Paradoxalement, ce pâtissier de formation ne fut jamais restaurateur. Il déploya ses talents gastronomiques au profit de plusieurs souverains. À Londres, par exemple, au service du prince régent, futur Georges IV, il réalisa des « diners en ambigu » où tous les plats étaient  servis simultanément. Il est l’auteur du recueil « Le Cuisinier parisien ou l’art de la cuisine française au XIXe siècle », paru en 1828.

Une brigade quasi militaire
La formule « brigade en cuisine » a, quant à elle, été imaginée par un autre grand chef. À la tête de grands restaurants, notamment lors de l’Exposition universelle de de Paris en 1867, Auguste Escoffier fut appelé sous les drapeaux et nommé chef de cuisine lorsqu’éclata la guerre franco-prussienne de 1870. C’est cette expérience militaire qui lui aurait donné l’idée de rationaliser hiérarchiquement  la répartition des tâches dans son équipe, en veillant aussi à l’image, ainsi qu’à l’hygiène de son personnel, appelé à porter des vêtements propres, tout en s’abstenant de boire, de fumer ou de hurler en cuisine ou en salle. On lui doit aussi la toque blanche, haute et plissée. En 1928, il fut le premier cuisinier à devenir officier de la Légion d’honneur.

Auguste Escoffier se distingua en portant, non plus un bonnet de coton, mais la haute toque blanche pour marquer son rang.

Le mot « cheffe » s’est aujourd’hui généralisé pour désigner une femme qui dirige une cuisine ou un restaurant. L’Académie française l’a finalement approuvé, après avoir hésité entre lui et « la chef », « chèfe », « cheffesse », « cheftaine » ou même « chève » Quoique n’appartenant pas de manière évidente au « bon usage », il fut accepté car il est « le plus employé », ont conclu les académiciens, manifestement de mauvaise grâce…

Georges Pop