L’époque est pour le moins lointaine et nul récit écrit n’atteste de l’alimentation de nos aïeux à l’âge du Bronze (2200 à 800 av. J.-C.). Grâce à des analyses isotopiques menées sur des squelettes humains et animaux, ainsi que sur des restes végétaux, une équipe de l’Université de Genève a fait de saisissantes découvertes. Les recherches se sont concentrées sur cinq sites, dont quatre en Suisse occidentale (Collombey-Muraz, Vufflens-la-Ville, Tolochenaz, Rances) et un en Haute-Savoie (Chens-sur-Léman). Si les chercheurs peuvent attester qu’à cette période la pêche était pratiquée dans les lacs et les rivières, l’étude biochimique des dents des défunts ne montre en revanche pas de consommation de poisson par les populations de ces différentes nécropoles. La viande (chèvre, mouton, cochon, bœuf) était, elle, au menu de même que les légumineuses et les céréales, parmi lesquelles du millet dont l’origine est à rechercher en Asie. Étrange ? Pas vraiment. « Les cultivateurs ont dû s’adapter au réchauffement climatique et à la sécheresse qui sévissaient alors en Europe. Le millet s’adapte très bien à des climats secs et chauds. Les populations avaient également recours à des engrais organiques pour accroître le rendement de leurs cultures », explique Marie Besse, professeure au Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie au Département F.-A. Forel de l’UNIGE, qui a dirigé le pôle de scientifiques à l’origine de ces découvertes. Bien sûr, le millet n’est pas arrivé du jour au lendemain selon Marie Besse : « A l’époque, les peuples se déplaçaient avec leurs animaux et leurs céréales et pratiquaient sans doute une forme d’échange entre eux. Le blé nous vient d’ailleurs du Proche-Orient ».
Égalité alimentaire
Autre enseignement : hommes, femmes et enfants, riches ou pauvres, avaient droit au même régime. Ce qui ne signifie pas pour autant que la société était égalitaire à l’âge du Bronze. Certaines tombes comportaient plus de mobilier que d’autres, attestant de différences sociales. Une égalité face à « l’assiette » qui se lézarde à l’âge du Fer où les femmes mangent moins bien que les hommes. « On peut imaginer que les femmes étaient nourries des restes laissés par les hommes, mais ce n’est pas une certitude », commente Marie Besse.
Quoi qu’il en soit, nos ancêtres de l’âge du Bronze seraient bien surpris de constater aujourd’hui que l’accès égalitaire à une alimentation bonne et saine n’est de toute évidence pas la norme.
Ils s’amuseraient aussi de réaliser que nos nutritionnistes n’ont rien inventé en préconisant de jouer sur la complémentarité céréales-légumineuses pour bénéficier d’un apport équilibré en acides aminés essentiels lorsque l’on ne consomme pas de protéines animales.
Cette étude, à laquelle ont également participé Alessandra Varalli, Mireille David-Elbiali, Jocelyne Desideri, Gwenaëlle Goude et Matthieu Honegger,
a été publiée dans la revue PLOS ONE en janvier 2021.
Manuella Magnin