Le malakoff n’est pas seulement une spécialité fromagère vaudoise. Il fait partie de l’Histoire.
Au milieu du 19e siècle eut lieu la guerre de Crimée contre les Russes. L’armée française de Napoléon III, alliée à l’armée britannique, comprenait, dans ses rangs, un certain nombre de mercenaires suisses, principalement des Vaudois. Les assaillants se retrouvèrent bloqués devant la ville de Sébastopol, défendue par le fort de Malakoff et sa redoutable artillerie lourde. Leurs assauts s’avérèrent vains et meurtriers, incitant le général Pélissier, futur duc de Malakoff, à opter pour une autre stratégie: il organisa le blocus de la ville et fit creuser des tranchées en biseaux, pour s’approcher du fort sans pertes lourdes.
Ce travail de sape dura plus d’un an. Durant les bivouacs, les soldats vaudois vinrent à se nourrir de tranches de fromages poêlées, ou réchauffées au feu de camp. Au bout de 14 mois, le fort de Malakoff tomba, Sébastopol fut pris et la guerre de Crimée se termina par le traité de Paris, en 1856, concrétisant la défaite de la Russie.
De retour au pays, les anciens soldats vaudois de Sébastopol instituèrent la coutume de commémorer cette bataille en se réunissant autour d’un feu de camp, en se préparant ces fameuses tranches de fromages frites, bien arrosées de vin blanc, vaudois bien sûr. En souvenir de l’assaut de la tour, ils donnèrent bientôt à cette préparation le nom de malakoff.
Plus tard, le prince Jérôme Bonaparte, dit prince Napoléon, occupa la villa Prangins. Lors d’une réception qu’il organisa pour fêter les vétérans de Sébastopol, sa cuisinière, à la recherche de recettes neuves, eut l’idée de s’inspirer de ces fameux malakoffs pour confectionner, en guise d’entrée, une version adaptée, sous la forme de bouchées faites d’une tranche de gruyère enrobée dans une pâte à frire et cuite au beurre, et rendre ainsi hommage aux convives du prince.
La recette connut un vrai succès et, à la mort du prince, la cuisinière en fit bénéficier un couple de ses cousins qui exploitaient l’auberge d’Eysins. Ils en firent leur plat vedette, en l’allégeant toutefois, remplaçant le beurre par de l’huile de friture et l’accompagnant d’une salade, de moutarde, de cornichons et d’oignons grelots.
De nos jours, d’autres auberges de la Côte, à Luins et Vinzel, se disputent le titre d’authentiques gardiens de la recette originale, toujours servie, entre autres, dans celle d’Eysins. La seule certitude réside bien dans le fait que toutes ces recettes dérivent bien de l’originale, et sont l’occasion de déguster les excellents vins de la côte vaudoise.
JF Ulysse